2007-01-09

Conférence sur le Crédit Agricole



CONFÉRENCE

SUR

LE CRÉDIT AGRICOLE

LES CAISSES RÉGIONALES ET RURALES

DONNÉE

A la séance publique du Syndicat professionnel agricole de la Haute-Garonne

Le 11 Mars 1900

PAR

M. V. UCAY

Docteur en Droit, Conseiller général.



MESSIEURS,


Notre honorable Président faisait allusion, dans son magistral discours, à des conférenciers de cœur et de talent ; cet éloge pouvait bien s'appliquer aux maîtres éminents que vous venez d'entendre, mais il ne pouvait, certes, s'adresser à moi qui suis appelé pour la première fois à prendre la parole devant cette assemblée.
Je suis, au contraire, encore confus du trop grand honneur que l'on m'a fait, en me désignant pour cette tâche, et je l'aurais peut-être déclinée si je n'avais voulu saisir l'occasion unique, qui m'est offerte, d'exposer l'organisation pratique du crédit agricole devant un public nombreux, sans doute, mais surtout composé de propriétaires, vivant comme moi sur leurs terres, au milieu de ces cultivateurs qui doivent bénéficier du crédit agricole, et par conséquent bien compétents pour apprécier l'utilité et l'opportunité de ce crédit.
Je serais trop heureux, Messieurs, si je pouvais vous faire partager les convictions qui m'animent ; mais, ce que je désire avant tout, c'est que ma voix, si faible qu'elle soit, trouve en vous un écho, et que, franchissant les murs de cette enceinte, elle arrive jusqu'à nos cultivateurs, nos ouvriers, nos paysans, et leur donne l'assurance formelle qu'en favorisant la création d'un crédit agricole, le Syndicat de la Haute-Garonne ne poursuit qu'un but : c'est de travailler sans relâche à l'amélioration matérielle et morale de leur sort.
Mon intention est de traiter la matière du crédit d'une façon pratique. Mais auparavant, je suis tenu de résoudre certaines questions qui sont plutôt du domaine de la théorie.


1° Tout d'abord, est-il utile de fonder un crédit agricole ?


La question paraîtrait oiseuse, s'il s'agissait de commerce ou d'industrie ; car il est admis par tout le monde que ces deux branches de l'activité humaine ne sauraient exister, nulle part, sans le crédit.
Et pourquoi la question serait-elle plus discutable en agriculture ? Celle-ci ne tient-elle pas à la fois et de l'industrie et du commerce ? N'est-elle pas une véritable usine de produits organiques ? Ne met-elle pas, en œuvre, des capitaux considérables ? Ne cherche-t-elle pas à faire valoir l'argent que l'on confie à la terre, sous forme de semences, d'engrais ? etc.
La réponse ne paraît pas douteuse.
Et cependant, que se passe-t-il en pratique ?
Lorsque le plus petit commerçant ou industriel veut obtenir du crédit, il trouve des banquiers toujours disposés à lui ouvrir leur guichet ; tandis que le petit propriétaire qui a de bonnes terres au soleil, mais qui à un moment donné a besoin d'une somme, même minime, se voit refuser l'accès de toutes les maisons de banque.
On me citera, il est vrai, un dicton tel que celui-ci :
« Le propriétaire qui emprunte court à sa ruine. »
Cela peut être vrai de celui qui emprunte pour faire des dépenses fastueuses ; mais ce n'est pas le cas qui doit nous intéresser ici.
Nous nous occuperons seulement de l'agriculteur qui veut faire des dépenses utiles et nous distinguerons deux sortes d'emprunts : l'emprunt nécessaire et l'emprunt facultatif.
L'emprunt sera nécessaire, toutes les fois qu'un cas de force majeure aura mis le propriétaire dans l'impossibilité de faire face à ses obligations, avec ses ressources ordinaires.
Pourrait-on dire, par exemple, à l'agriculteur qui, après avoir contemplé ses beaux épis dorés, les voit tout à coup enfouis dans le sol par la grêle, de ne pas emprunter pour acheter des semences ? Oserait-on soutenir à ce viticulteur, dont les pampres ont été brisés par l'ouragan, qu'il ne doit pas emprunter pour donner des soins à sa vigne l'année suivante ?
Et au métayer, dont les écuries ont été décimées par l'épidémie, lui persuadera-t-on de ne pas remplacer ses attelages disparus ?
Qu'eût fait le Midi de la France si, après l'invasion phylloxérique il n'avait pas eu recours à l'emprunt pour reconstituer ses vignobles avec une telle rapidité et une si grande réussite, que la surabondance de leur récolte est devenue aujourd'hui une menace pour nous ?
Tout autant de cas, Messieurs, où l'emprunt n'est que trop justifié et où l'on pourrait dire à l’encontre du dicton déjà cité : « celui qui n'emprunte pas, se ruine. »
Mais à côté de ces emprunts indispensables il y a les emprunts facultatifs. Ce sont ceux qui ont simplement pour but, d'améliorer la production, d'augmenter les rendements.
Ils méritent d'être encouragés, parce qu'ils seront souvent un stimulant de l'intelligence et de l'activité et, par conséquent, une cause de progrès.


2° A qui doit-on prêter ?


Ce n'est pas au grand propriétaire qui emprunte des sommes considérables pour de grandes spéculations et qui ne peut se libérer qu'à des échéances éloignées. Celui-là trouvera toujours à emprunter à de bonnes conditions dans les grandes Sociétés telles que le Crédit Foncier, les Sociétés foncières de prêt et même chez les notaires.
L'institution du Crédit agricole est surtout faite pour favoriser le petit propriétaire, le fermier, le métayer et, en un mot, tous ceux qui peuvent avoir besoin de petites sommes et pour un temps relativement court.
Rien n'empêchera, du reste, que les grands propriétaires ne fassent usage de ce crédit dans les conditions précitées ; mais ce ne sera jamais qu'à titre exceptionnel.
Il faut, poser ce principe que le Crédit agricole doit être mobilier et personnel.
On prêtera au cultivateur, non pas à raison de l'étendue ou de la valeur des terres qu'il possède, mais eu égard à son honorabilité, à sa moralité, à ses aptitudes professionnelles. C'est le cultivateur laborieux et honnête qui trouvera surtout accès auprès des banques agricoles ; suivant une heureuse expression, on lui prêtera non parce qu'il a quelque chose, mais parce qu'il est quelqu'un.


3° Dans quelles circonstances devra-t-on prêter ?


Toutes les fois qu'il y aura lieu de favoriser une opération concernant l'industrie agricole. C'est ainsi qu'on pourra avancer les sommes nécessaires pour acheter des semences, des engrais, des outils aratoires, des instruments agricoles perfectionnés, des animaux de croit ou de travail.
On n'encouragera aucune dépense de luxe car on prête pour « mieux cultiver et non pour mieux vivre. »
Certaines industries se rattachant à l'agriculture, pourront aussi bénéficier du crédit agricole ; ainsi il sera quelquefois avantageux pour les agriculteurs d'une région qu'on favorise dans une commune la création d'un atelier de charronnage ou de maréchalerie lorsqu'elle en est dépourvue.
Quelques exemples, d'ailleurs, feront mieux saisir les avantages du prêt :
Si un métayer ou fermier veut faire l'élevage de bêtes à laine et qu'il n'ait pas les fonds indispensables pour l'achat d'un troupeau, il s'adressera à un bailleur de fonds qui lui achètera le troupeau et le lui donnera à cheptel, c'est-à-dire qu'il prendra la moitié des bénéfices, comme revenu de son argent. Or ces bénéfices pour un troupeau de 1000 à 1200 francs, peuvent être de 4 à 500 francs dont moitié pour le bailleur, 250 francs. Il s'ensuit que le fermier aura emprunté son argent à 20 ou 25 %.
Mais si ce fermier est honnête, laborieux et qu'il trouve accès auprès du crédit agricole, il obtiendra son argent à 3 ½ ou 4 % et paiera 40 francs d'intérêt au lieu de 250. Dans 5 ans ce fermier aura gagné la valeur de son troupeau par la seule différence des intérêts.
Un cultivateur vint me raconter ces jours-ci qu'il avait acheté un arpent de terre au prix de 1000 francs ; qu'il avait mis là toutes ses économies et que son grand désir serait de planter cet arpent en vignes ; mais pour cela il fallait de 150 à 200 francs d'avances qu'il ne possédait pas.
Ne croyez-vous pas, Messieurs, que le Crédit eût été bien appliqué en l'espèce et qu'on aurait pu sans crainte prêter 150 à 200 francs à un ouvrier assez sage pour avoir économisé sou par sou une somme de mille francs et acheté son lopin de terre à la transformation duquel il veut consacrer tout son labeur ; sûrement, cet ouvrier doublera la valeur de son fonds et le paiement des intérêts de la somme empruntée qui ne dépasseront pas 6 à 8 francs par an ne lui imposera aucune gène.
Il y a déjà deux ans qu'a été promulguée la loi sur les warrants agricoles. On a cru voir tout d'abord dans cette loi une panacée universelle. Or, qu'est-il arrivé ? C'est que cette loi n'a reçu, au moins dans nos régions, aucune application par suite du nombre des formalités qu'elle exige et de l'ignorance dans laquelle sont, à son égard, ceux qui pourraient le plus en profiter.
Eh bien, Messieurs, je crois que si le crédit agricole existait, la loi sur les warrants serait aussitôt mise en pratique et cela au grand profit de l'agriculture. Lorsqu'un cultivateur viendrait dire à un des administrateurs du crédit agricole : j'ai tant de récoltes dans mon grenier ou dans mon chai, mais le moment ne me paraît pas propice pour la vente et cependant j'ai besoin d'une somme déterminée, cet administrateur lui répondrait :
Mon ami, venez avec moi chez le greffier ; vous allez me signer un papier qui s'appelle warrant qui coûte 0 fr. 50 % et je me charge de tout le reste. Car cet administrateur saura bien que, muni de ce warrant qui vaut plus qu'une lettre de change, il trouvera de l'argent pour satisfaire ce cultivateur.
Il serait superflu, Messieurs, de multiplier davantage les exemples qui prouvent l'utilité et l'efficacité du Crédit agricole. Je me hâte de traiter une quatrième question.


4° Par quels moyens va-t-on instituer le Crédit agricole.


Actuellement l'agriculteur qui veut emprunter dispose de trois moyens : l'emprunt hypothécaire ou notarié, l'emprunt chez un banquier, ou l'emprunt chez un particulier par lettre de change.
L'emprunt par hypothèque est une bien vieille institution qui est actuellement l'objet de nombreuses critiques ; sa réforme est depuis longtemps à l'ordre du jour du Parlement. On sait, en effet, toutes les entraves que crée l'hypothèque à la circulation des biens et combien elle a soulevé de difficultés dans les partages, les successions de mineurs etc.
En tout cas elle exige un acte notarié dont les frais pour de petites sommes sont disproportionnés avec le résultat à obtenir.
L'emprunt fait à un banquier de campagne offre aussi des inconvénients. Sans doute il n'y a pas d'hypothèque, ni d'entrave à la circulation des biens, mais le banquier qui loue son argent ou celui d'autrui est tenu d'exiger, un taux élevé de façon à être rémunéré de ses peines, à courir des risques et aussi à tenir un certain train de maison qui dénote la prospérité de sa banque et inspire confiance à ses clients.
Il prête en général à 6 %, mais comme il renouvelle les mandats tous les trois mois, et prend 1 % de commission à chaque renouvellement, — soit 4 % par an — en fait, les frais d'emprunt sont de 10 %.
Reste l'emprunt, à un particulier par lettre de change.
Contre celui-ci, nous n'aurions rien à dire si nous le croyions facilement réalisable ; mais d'un côté il y a une grande difficulté pour l'emprunteur à rechercher les particuliers qui disposent de fonds et veulent les prêter sur simple billet, de l'autre, l'attente de l'emprunteur, l'ennui de se procurer sur lui des renseignements certains, l'obligation de diviser ses prêts, déterminent le plus souvent les détenteurs de fonds à les confier de préférence à la Caisse d'épargne, ou aux Sociétés de Crédit, plutôt qu'à des particuliers.
Puisque aucun de ces modes d'emprunt ne nous satisfait, sur quoi allons-nous faire reposer le Crédit agricole ?
La réponse sera brève : sur la Mutualité… Vous savez tous, Messieurs, combien cette bienfaisante institution a fait de progrès dans cette seconde moitié du siècle.
Appliquée d'abord au soulagement des malheureux au moyen des Sociétés de Secours mutuels, elle s'est successivement étendue aux Caisses de retraite pour la vieillesse, aux Assurances contre les accidents, contre la mortalité du bétail etc.
Nous allons Messieurs, lui faire franchir une dernière étape en l'appliquant au Crédit agricole.
Ce sera un fleuron de plus à cette belle couronne que nous devons tresser à la Mutualité dès l'aurore du vingtième siècle.
Soyons tous mutualistes, Messieurs, car nulle devise n'est plus belle, plus humaine et plus réalisable que celle qui est inscrite sur le drapeau de la Mutualité :


TOUS POUR UN ; UN POUR TOUS


Législation


Pour appliquer la Mutualité au Crédit agricole la loi a créé un mécanisme peu compliqué, mais qui comprend quatre rouages, ou plutôt quatre échelons successifs.
Les échelons se relient les uns aux autres comme les anneaux d'une même chaîne. Ce sont : 1° l'emprunteur ; 2° la Caisse rurale ; 3° la Caisse régionale ; 4° la Banque de France :
L'emprunteur. — Je n'en parlerai guère, j'ai dit plus haut que ce devait être le petit agriculteur, le petit cultivateur qui a besoin d'être encouragé dans ses opérations agricoles ou le grand propriétaire qui, accidentellement, a besoin d'un crédit modéré ;
La Caisse rurale. — J'en donnerai la définition suivante qui me parait embrasser la généralité des cas.
La Caisse rurale est une association de propriétaires, syndiqués ou non, d'une même commune, formée en vue de faciliter ou de garantir par des prêts les opérations agricoles de ses membres.
Cette définition renferme trois principes qui sont essentiels pour le bon fonctionnement de la Caisse rurale.
Le premier, c'est que le rayon de la Caisse rurale ne doit pas dépasser les limites de la commune.
C'est seulement dans ces limites que les administrateurs de la Caisse pourront suffisamment connaître la valeur morale des associés qui demandent un crédit et surveiller avec efficacité l'emploi des fonds qui leur auraient été confiés.
Il faut qu'on sache d'une façon absolue si l'emprunt a reçu la destination pour laquelle il a été fait et si l'emprunteur continue à jouir de la réputation qui lui a valu la confiance qu'on a placée en lui.
Une pareille surveillance aussi continue ne peut s'exercer en dehors des limites de la commune car les moyens d'information et les occasions de contact pourraient manquer.
Rien n'empêche cependant qu'exceptionnellement on ne puisse joindre deux communes ensemble ; mais je ne conseillerai jamais de constituer une Caisse rurale, soit pour un canton tout entier et encore moins pour un arrondissement.
Le deuxième principe, c'est qu'on ne doit prêter que pour faire des opérations agricoles : toute opération commerciale ou industrielle qui ne se rattache pas directement à l'agriculture ne sera pas l'objet d'un prêt de la part de la Caisse rurale.
L'opération agricole doit être elle même bien spécifiée et ne pas déguiser un emprunt destiné à l'extinction d'anciennes dettes ou à des dépenses de luxe.
Le troisième principe, c'est que les prêts ne peuvent être faits qu'à des membres de l'Association. S'il en était autrement, le crédit ne serait pas mutuel. Ainsi donc, quelle que soit l'honorabilité et la solvabilité des personnes qui veulent faire un emprunt, elles n'obtiendront satisfaction que si elles font partie de l'Association. On ne devra jamais laisser fléchir ce principe, sous peine de voir la Caisse rurale dégénérer en banque de spéculation. Il va sans dire que le maximum des prêts sera limité, d'abord pour mieux répartir les risques, mais surtout pour que l'opération ne comporte pas une avance trop considérable.
Ces trois principes étant admis, sous quelle forme devrons-nous fonder la Caisse rurale ?
Deux systèmes, ou plutôt deux types, sont plus habituellement adoptés.
Le type Raiffeisen et le type conforme à la loi du 5 novembre 1894.
L'un a pour base la responsabilité illimitée, l'autre la responsabilité limitée :
1° Type Raiffeisen.
La Caisse rurale du type Raiffeisen est une société en nom collectif, à capital variable.
Elle est régie par les articles 20, 21, 22 du Code de commerce et par les articles 48 à 54 de la loi du 24 juillet 1867.
Comme société en nom collectif, elle comporte la responsabilité solidaire et illimitée de tous ses membres.
La formation est des plus simples : Il suffit que trois personnes se réunissent et déclarent se former en société en dressant les statuts de leur Société par acte sous-seing privé et en autant d'exemplaires qu'il y a de membres.
La société ainsi constituée peut admettre, dans son sein, autant de membres qu'elle voudra et commencer les opérations en ayant soin, tout d'abord, d'organiser un conseil d'administration ; il ne lui restera ensuite qu'à remplir certaines formalités, telles que l'enregistrement de l'acte (au droit fixe de 3 fr. 75), le dépôt d'un exemplaire aux Greffes de la Justice de Paix et du Tribunal de commerce (12 francs) et la publication dans un journal.
La société régulièrement formée, comment va-t-elle fonctionner ? Elle peut ne pas posséder de capital et il est préférable même qu'elle n'en possède pas au début, parce que les intérêts à servir pour ce capital grèveraient son budget.
Elle attend qu'une demande d'emprunt soit faite par un de ses membres.
Dès que cette demande se produit, elle fait un appel de fonds, soit à un associé, soit à une personne étrangère à la société. Avec la responsabilité solidaire et illimitée de tous ses membres, elle offre une garantie à nulle autre pareille.
Il est donc certain qu'elle trouvera toujours du crédit. Elle n'a d'ailleurs, pour qu'on réponde à son appel, qu'à servir un intérêt supérieur à celui de la Caisse d'épargne, 2 fr. 75 par exemple, et les économies des paysans afflueront dans sa caisse au lieu de se déverser dans celles de l'Etat.
Supposons donc que la caisse rurale a obtenu le dépôt d'une somme égale à celle pour laquelle l'emprunt doit être fait.
Le déposant retire un bon de la somme prêtée, signé par le président de la caisse.
L'emprunteur, de son côté, souscrit un billet de pareille somme et le fait avaliser par une caution reconnue solvable.
Le déposant obtient ainsi la garantie solidaire de tous les membres de la caisse rurale et celle-ci possède la garantie de l'emprunteur et de sa caution.
Pour compléter cette dernière garantie, la caisse est tenue de se constituer une réserve au moyen des bénéfices qui résulteront de la différence entre le taux du prêt et celui de l'emprunt. Si, par exemple, elle sert 2 fr. 75 % au déposant, elle devra faire payer 3 fr. 75 % à l'emprunteur. Cette différence de 1 % est affectée à la constitution du fonds de réserve, car, je n'ai pas besoin de le dire, la Société n'a pas de frais, les fonctions des administrateurs étant gratuites.
Qu'arriverait-il si, à l'échéance, le billet n'était pas payé ?
D'abord, selon les circonstances, on pourra accorder des renouvellements ; à défaut de renouvellement, on poursuivra le débiteur principal et, s'il y a lieu, sa caution.
En cas d'insolvabilité de l'un ou de l'autre, on imputera la perte sur la réserve. Ce n'est qu'après épuisement de la réserve que la perte devra être répartie sur tous les membres de la caisse rurale.
Une pareille éventualité n'est pas à prévoir, car la caisse sera administrée par des hommes compétents, dévoués, qui, ayant leur responsabilité morale et pécuniaire engagée dans chaque prêt qu'ils feront au nom de la caisse, s'attacheront à ne prêter de l'argent qu'à bon escient, de façon à ne courir aucun risque et à ne mériter aucun reproche.
Cette éventualité se produirait-elle que la perte serait insignifiante pour chacun des membres. En effet, si la caisse rurale comprend 100 membres et qu'un jour, après épuisement de toutes les ressources, il survienne une perte de 4.000 francs, chaque membre n'aurait somme toute que 10 francs à payer, et il est à croire que cette avance lui serait vite remboursée par les nouveaux bénéfices que la caisse continuerait à prélever sur ses opérations.
Je suis donc convaincu qu'une caisse du type Raiffeisen, bien administrée, ne fait courir aucun risque à ses membres et qu'elle est appelée à rendre les plus grands services dans nos communes rurales où l'on trouve plus d'hommes de bonne volonté que de capitalistes.
Du reste, les 400 caisses qui fonctionnent depuis longtemps sous l'habile direction de M. Louis Durand, et dont aucune n'a sombré, sont bien la preuve la plus éloquente de la valeur du crédit agricole créé par M. Raiffeisen.
II. — Passons au second système, celui qui a été organisé par la loi du 5 novembre 1894.
Il diffère du précédent à trois points de vue principaux :
1° Les membres qui composent la caisse rurale doivent tous sans exception faire partie d'un syndicat ;
2° La société ne peut être formée qu'après la souscription d'un capital et, le versement du quart de ce capital (si elle est à capital variable on peut stipuler que son capital sera uniquement formé par ses bénéfices) ;
3° La responsabilité des associés peut être limitée.
En principe, cette société sera anonyme et à capital variable. Mais rien n'empêche qu'elle soit en nom collectif et à capital variable. Tel est le cas des caisses rurales créées par le Syndicat de Marmande, à la tète duquel se trouve un homme très distingué et très au courant des questions sociales, M. Lefèvre.
Mais ce cas est peut-être exceptionnel et, le plus souvent, les caisses du type 1894 seront fondées avec un capital déterminé et limiteront la responsabilité des sociétaires au montant de leurs apports.
Tout fondateur d'une caisse rurale devra donc tout d'abord rechercher le capital de fondation, puis dresser les statuts en se conformant aux prescriptions de la loi du 5 novembre 1894 qui sont les suivantes :
Article premier. — La Société, exclusivement composée de syndiqués, ne devra faciliter ou garantir que les opérations agricoles de ses membres. Elle pourra recevoir des dépôts de fonds en compte courant et se charger des recouvrements (escompte) ou paiements pour le compte des associés. Son capital pourra être constitué à l'aide de souscriptions qui formeront des parts nominatives et transmissibles seulement aux membres de la Société et avec l'agrément du conseil d'administration.
Si le capital est variable, il ne pourra jamais être réduit au-dessous du capital de fondation.
On voit que cet article a surtout pour but de réserver le bénéfice de la loi aux syndiqués et de réprimer toute tentative de spéculation sur les capitaux sociaux.
Elle crée un avantage qui n'existe pas dans les caisses Raiffeisen, c'est de pouvoir recevoir des dépôts en compte courant et d'escompter des billets à ordre, sans payer patente.
L'art. 2 au milieu de détails d'administration prévoit la possibilité de limiter la responsabilité des associés.
Nous avons vu au contraire que la caisse Raiffeisen ne limitait jamais la portée des engagements.
L'art. 3 a trait aux bénéfices qui devront être affectés pour les trois quarts au moins au fonds de réserve, le surplus devant être réparti entre les associés au prorata des prélèvements faits sur leurs opérations. A la dissolution de la Société, le fonds social sera partagé entre les sociétaires au prorata de leur souscription, à moins qu'il n'ait été d'avance affecté à une œuvre agricole.
Ces principes peuvent être appliqués dans la caisse Raiffeisen, mais ils n'y sont pas obligatoires.
L'art. 4 oblige la Société dans son propre intérêt à tenir une comptabilité commerciale. C'est une simple mesure de prudence. En retour, elle l'exempte de la patente et de l'impôt sur les valeurs mobilières.
La caisse Raiffeisen n'est pas astreinte à une tenue de livres spéciale ; mais pour échapper à la patente et à l'impôt, elle a dû s'interdire toute opération à ordre.
Dans l'art. 5, on énumère les conditions de publicité qui consistent dans le dépôt de la liste des administrateurs et des sociétaires, au greffe de la justice de paix en double exemplaire. Un de ces exemplaires est ensuite envoyé au greffe du tribunal de commerce de l'arrondissement. Chaque année, dans la première quinzaine de février, ce dépôt sera renouvelé avec le relevé des opérations effectuées.
Nous nous permettons de faire remarquer que tout cela est peut-être bien un peu compliqué pour des sociétés rurales.
L'art. 6 a soulevé beaucoup de critiques.
Il rend personnellement responsables, en cas de violation de la loi ou des statuts, les administrateurs de la Société, et il peut leur être infligé une amende de 16 à 500 francs sans préjudice de la dissolution de la Société.
Sans doute, cet article est regrettable, parce qu'il peut arrêter beaucoup de bonnes volontés et, par la crainte qu'il inspire, détourner de la pensée de fonder une caisse syndicale les hommes jusqu'ici les mieux disposés.
Mais il ne faut pas non plus en exagérer la portée. La responsabilité n'est encourue que dans le cas de violation des statuts de la loi, et non pour mauvaise gestion. Or, les hommes qui créeront une caisse seront assez bien informés pour se mettre en règle avec la loi. En outre, il faut croire que les tribunaux seraient assez bienveillants pour ne punir que la violation volontaire de la loi et non les erreurs involontaires.
Ne nous laissons donc pas effrayer par cet article, tout en continuant à demander aux pouvoirs publics sinon sa suppression absolue, tout au moins sa modification.
J'en ai fini avec la loi du 5 novembre 1894.
Il me resterait bien à discuter le point de savoir si cette loi se suffit à elle-même ou si elle ne fait que compléter, en la modifiant, la loi de 1867. Mais cette discussion, délicate, difficile, que je ne serais peut-être pas en mesure de soutenir devant vous, m'entraînerait trop loin. Je préfère la laisser ouverte, convaincu d'ailleurs qu'elle ne sera tranchée que lorsque les tribunaux se seront prononcés à cet égard.
Et maintenant, Messieurs, que j'ai exposé devant vous deux systèmes de caisses rurales, auquel, allez-vous me dire, faut-il donner la préférence ?
Je vous répondrai que ce sera une question d'opportunité.
Dans les communes où il y aura des hommes bien convaincus de l'utilité du Crédit agricole, bien décidés à l'organiser et n'hésitant pas à mettre au service de cette cause leur fortune, leur influence ou leur talent, n'hésitez pas à créer une caisse Raiffeisen. Cette caisse réussira, car les hommes qui l'auront fondée sont des apôtres dont la parole est toujours écoutée et l'exemple suivi.
Si, au contraire, le projet de création d'une caisse rurale n'est accepté qu'avec une certaine froideur, s'il rencontre des sceptiques, mieux vaut adopter le type 1894, avec la responsabilité limitée. On sera sûr ainsi de trouver un plus grand nombre d'adhérents.
Quel que soit d'ailleurs le système adopté, la caisse rurale mutuelle est sûre de réussir. Les six cents caisses qui existent en France sont toutes prospères. A l'étranger, le succès est plus accentué que chez nous. L'Allemagne ne compte pas moins de six mille caisses ; l'Italie en a plus de quatre mille. Leur situation est excellente et leur crédit est supérieur à celui de l'Etat.
Il y a quelques jours, Messieurs, visitant ce pays, je fus agréablement impressionné en lisant sur la porte d'une maison de très modeste apparence : « Banco populare », et je me pris à espérer que bientôt, peut-être, je pourrais aussi lire pareille enseigne dans ma propre commune.
Cet espoir, je le possède d'autant plus aujourd'hui en voyant combien vous êtes venus nombreux à celte séance, et quelle attention soutenue vous voulez bien prêter à ma parole.
Mais, poursuivant mon sujet, j'arrive au troisième échelon du crédit mutuel : la Caisse régionale.


Caisse Régionale.


La Caisse régionale a pour but principal de servir de trait d'union entre la Caisse rurale et la Banque de France, et de permettre à la première de recevoir, par son intermédiaire, les avances que la seconde est tenue de faire, en vertu de la loi qui renouvelle son privilège.
Créée par la loi du 31 mars 1899, elle ne peut être organisée que sous l'empire de la loi du 5 novembre 1894.
Par conséquent, tout ce que nous avons dit au sujet des caisses rurales, type 1894, s'applique à la caisse régionale. Nous n'y insisterons donc pas.
D'une façon générale, cette caisse prendra la forme d'une société anonyme à capital variable et par conséquent à risques limités.
Telle sera, Messieurs, la Caisse régionale agricole du Midi, que l'Union des syndicats du Midi se propose de fonder à Toulouse et dont le succès sera assuré, grâce à votre précieux concours.
Si vous le voulez bien, Messieurs, parcourons ensemble les particularités imposées, pour fonder une caisse régionale, par la loi de 1899, en dehors des prescriptions de la loi de 1894, que nous connaissons déjà.


Composition de la Caisse Régionale.


Elle ne peut, se composer que de membres des syndicats ou de sociétés de crédit mutuel.
Toute personne qui n'est pas affiliée à un syndicat ou toute société qui ne s'occupe pas exclusivement de crédit mutuel agricole ne peuvent participer à la création d'une caisse régionale.
En prenant cette mesure, le législateur a voulu exclure toute idée de spéculation et se placer absolument sur le terrain de la mutualité, en ne faisant bénéficier de la loi que des syndicats ou des mutualités.
La question s'est posée de savoir si un syndicat, entier, en tant que personnalité morale, pourrait souscrire à une caisse régionale. Bien que la loi ne le dise pas expressément, on est généralement d'avis que la souscription du syndicat est valable, et, de fait, c'est par des groupements de syndicats que les caisses régionales ont été jusqu'ici fondées.
C'est donc l'union des syndicats qui s'impose, c'est la coopération des diverses sociétés d'agriculture qui devient nécessaire.
Cette union se fera, Messieurs, si elle n'est déjà faite ; cette coopération se produira sûrement : je n'en veux pour preuve que la présence à ce bureau des distingués présidents de la Société centrale d'agriculture et de la Société d'agriculture de la Haute-Garonne.


Etendue de la Caisse régionale.


Le rayon d'une caisse régionale n'est pas limité par la loi : on peut donc avoir autant de caisses de ce genre qu'on voudra ; on pourrait même les juxtaposer.
Mais le bon sens indique qu'une seule et même caisse doit desservir un ensemble de départements dont les intérêts sont identiques, où les rapports sont fréquents et les moyens de communication faciles.
La Caisse du Midi embrassera les mêmes départements que l'Union des syndicats du Midi.


But et moyens d'action.


Le but de la Caisse est de faciliter les opérations agricoles effectuées par les membres des caisses rurales et garanties par ces sociétés.
A cet effet :
1° Elle escomptera les effets souscrits par ces membres et endossés par les caisses rurales ;
2° Elle fera à ces caisses les avances nécessaires.
Ainsi donc, Messieurs, si je comprends bien l'esprit de la loi, la Caisse régionale ne traitera pas directement avec les emprunteurs, elle n'aura affaire qu'aux Caisses rurales qui lui escompteront les effets souscrits par leurs membres après les avoir endossés.


Ressources de la Caisse régionale.


Les ressources de la Caisse sont nombreuses. Elles comprennent : 1° Le capital de fondation qui, pour notre Caisse, sera porté à 25.000 francs, au moyen de la souscription de 1.250 parts, à 20 francs chacune.
Le capital de fondation pourra être augmenté par de nouvelles souscriptions ; son intérêt ne pourra jamais dépasser 5 p. %. En pratique, il ne devra guère être supérieur au taux de la rente française.
2° Les avances de l'Etat.
Les avances consistent dans les 40 millions que la Banque est tenue de mettre à la disposition des Caisses régionales, en vertu de l'article 1er de la loi de 1899 et qui seront réparties entre elles en parts égales à leur capital de fondation, bien entendu à concurrence de ces 40 millions.
Ces avances sont faites sans intérêts. Grâce à elles, le capital des Caisses sera doublé, et cela gratuitement.
En plus, une somme de 2 millions sera versée annuellement par la Banque de France aux Caisses régionales, pendant 20 ans.
C'est donc un total de 80 millions que l'Etat emploie à subventionner le crédit agricole. Nous ne pouvons que reconnaître l'importance de ce sacrifice et remercier les législateurs de leur générosité.
3° Les emprunts et les émissions de bons que la Caisse peut faire sous sa responsabilité.
4° Enfin, la réserve qu'elle est tenue de se constituer par la différence entre le taux de son argent et celui des prêts qu'elle fait aux Caisses rurales.
La Société ne pouvant distribuer de dividende et les fonctions des administrateurs étant gratuites, les bénéfices s'accumuleront rapidement et constitueront cette réserve destinée à parer à toute perte.
Remarquez bien, Messieurs, que la Caisse comprend deux sortes de capitaux bien distincts : le capital de fondation et le capital avancé par l'Etat. Si le premier a été emprunté à 3 p. %, le second ne coûte rien ; donc, en réalité, pour le capital entier, la Société ne supportera qu'un intérêt de 1 1/2 p. %. Si elle prête aux Caisses rurales à 3 p. %, elle gagne donc 1 1/2 p. % sur chaque prêt.
Je proposerai volontiers la combinaison suivante : Placer en rentes sur l'Etat 3 % le capital de fondation et ne se servir pour les opérations à faire avec les Caisses rurales que du capital fourni par la Banque.
Le capital circulant ne coûtera rien et rapportera 3 p %. Cet intérêt sera mis en réserve après prélèvement des frais.
En cas de liquidation, le capital de fondation se retrouvera intact et sera intégralement restitué aux porteurs de parts.
L'autre capital sera repris par la Banque de France, et la réserve pourra être affectée par les statuts à une œuvre agricole.
Il est vrai que si la Banque croyait son capital compromis, elle pourrait le retirer au bout de cinq années. Mais cette éventualité n'est pas à prévoir.
La caisse régionale possède pour tous les effets qu'elle escompte une triple garantie : la garantie de l'emprunteur, celle de la caution et celle de tous les membres de la caisse rurale dans le système Raiffeisen ou du capital de fondation dans le système de 1894.
A défaut même de ces trois garanties, la caisse régionale possède une réserve qu'elle devra épuiser avant de toucher à son capital.
Tout prouve donc surabondamment que jamais notre société ne subira de perte, que jamais elle n'en imposera à ses membres.
C'est pourquoi, Messieurs, je ne saurais trop vous engager à envoyer vos souscriptions à la Caisse régionale en formation.
Non seulement vous avez intérêt à hâter cette fondation afin de participer à la première distribution de fonds qui sera faite par la Banque de France ; mais aussi, vous devez avoir à cœur de répandre dans vos campagnes les principes d'association en matière de crédit, principes qui seront, j'en suis convaincu, essentiellement féconds pour l'agriculture de notre région.
Je sais bien que ni les bonnes volontés, ni les concours généreux ne manquent parmi vous. Croyez-moi, Messieurs ; mettez-les au service de la meilleure des causes.
Faites-vous tous les apôtres de la Mutualité. Montrez au peuple combien vous êtes disposés à travailler pour son bien, et peut-être obtiendrez-vous ainsi d'élever une barrière contre l'invasion de théories qui tout en s'inspirant de sentiments généreux et humanitaires, portent atteinte à un principe que nous devons tous défendre, celui de l'inviolabilité de la propriété individuelle.
Ces jours-ci, une haute personnalité politique disait :
« Le capital doit travailler et le travail doit posséder. — » formule bien platonique si elle est prise à la lettre, car personne ne songerait à empêcher le capital de travailler, pas plus que le travail de posséder, — mais formule bien dangereuse aussi par l'opposition qu'elle semble créer entre le capital et le travail.
En effet, à mon sens du moins, le résultat le plus clair de ces paroles est de créer des classes de citoyens et de déchaîner la lutte entre ces classes.
Et bien cette lutte nous ne la voulons pas. Nous nous efforçons d'unir les Français et non de les diviser.
Que les capitalistes tendent la main aux travailleurs.
C’est de cette alliance entre le capital et le travail, c'est de cette mutualité bien comprise que résulteront l'harmonie et le bonheur de tous.
Et, nous, Messieurs, qui aurons favorisé cette alliance par la création du crédit agricole, nous aurons réalisé une partie de cet idéal de justice et d'humanité qui est au fond de tous nos cœurs.

1 commentaire:

miss lilou a dit…
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